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Excelsior 25 Mai. 1936

LE SALON DES TUILERIES (2)
par M. LOUIS VAUXCELLES
 
Hernandez, fidèle à la plus traditionelle des techniques, passe de la taille directe à la fresque, puis à la mosaïque. Ce sont là besognes mâles qui n'ont aucun rapport avec le modelage ou le travail d'huile. L'exemple imparti par Abbal, par Mateo Hernandez, continuateurs de Joseph Bernard plutôt que de Bourdelle, lequel, en dépit de son génie, rusait avec le bloc, a porté ses fruits. Je n'en donnerai pour exemple que Mrs Cornelia Chapin, artiste américaine de classe, qui a écouté la leçon de Hernandez, et dont la Tortue est d'un fort bon style.
Je cite encore, tant au rez-de-chaussée qu'au bel étage, Couturier, qui s'est satisfait d'une brillante esquisse; nul doute qu'il ne la reprenne et pousse plus loin son effort, car il ne faut pas s'arrêter quand les difficultés commencent; Yencesse et sa figure d'une fraîche vénusté; Apartis, portraitiste loyal de feu M. Venizelos; Pryas, Bigeard, Raymond Martin, concis et robuste; Mme Dem, Paul Simon, aimable et sensible; Auricoste et sa Tourterelle d'un galbe serré; Mme Alalou et sa fort jolie terre-cuite; Damboise, Toussaint; le simple et fin Christian de Mme de Bayser; la Guenon et son petit, d'un accent si juste, de Marcel Lemar; l'Ange classique de Saupique, le Nu de Loutchansky, la gracieuse figure de Bouret, le buste de Joël Martel, le tout petit bronze, de si heureuses proportions, signé Marcelle Mills; la Femme aux bras levés de Mlle Champetier de Ribes, d'un  mouvement juste et d'un sentiment personnel; le médaillon d'Anna de Noailles par Carl Longuet, l'Enfant, de Rousaud; la Femme debout, de Raimond-Jacques Sabouraud; la Jeune Américaine, de Renée Vauthier; les savants envois de Henry Arnold, Mme Guastalla, et la Tête d'un jeune Italien, de Denise Risterucci.

Section de peinture

Un hommage pieusement ému a été rendu par le comité des Tuileries à cet artiste d'une si raffinée culture que fut Edmond Aman Jean. On a constitué une petite rétrospective de ses toiles où fleurissait la plus suave harmonie; en revoyant ces accords d'une distinction réticente, d'un nuancement si délicat, d'une sensualité si vive bien qu'elle ne s'étalât jamais indiscrètement, on songe à la silhouette de l'homme qui fut le plus compréhensif des présidents, le sage et sûr conseiller de la jeunesse. L'œuvre d'Aman Jean, qui a apporté une note nouvelle, une musique plastique non encore ouïe, doit durer. Deuxième rétrospective: un bouquet de toiles de la sensible artiste que fut Lucie Caradek.
Il existe, on le sait, deux secteurs antithétiques au Salon, les A et les B, D'une part, MM. Duhem, Morisset, Prinet, Karbowski, Flandrin, les aînés, consacrés par de longues années de succès salonniers. A ces noms s'ajoutèrent souvent ceux de MM. Jacques Blanche, Lucien Simon, Desvallières; et Besnard les accompagnait jadis. D'autre part, Friesz, de Waroquier et leurs invités, soit l'élément disons <> de la maison. Il n'existe pas de cloison étanche qui sépare les deux groupes: certes il y a plus de frémissement chez les seconds, et l'ensemble cohérent due rez-de-chaussée en fournit la preuve. Mais n'oublions pas que Oudot, Brianchon, Legueult - dont on déplore vivement l'abstention cette année - et Jacques Denier, Marquerite Louppe, Suzanne Lalique étaient les invités d'Aman Jean Et d'autre part, si nous apprécions à leur juste valeur Friesz, Léopold Lévy, Marchand, Céria, Valdo Barbey de Waroquier, Lebasque, Kayser, Francis Smith, Milich, Terecheovitch, Charles Blanc, Darel, Quelvée, Lemolt, et cette féconde génération des cadets où nous rencontrons Limouse, Cava[[?]]ès, Christian Caillard, Max Band, Yves Brayer, Janin, Francis Gruber; et enfin la nombreuse et charinante troupe féminine dont les héroïnes sont Adrienne Jouclard, Andrée Joubert, Reine Cimière, Andrée Lévy, Madeleine Luca, Jeanne Pélisson-Mallet, Marie-Louise Siméon, Rolande Dechorain, Henriette Deloras, Marthe Lebasque, Hélène Gourgaud du Taillis, Juliette Drivier, Marianne Camax-Zoegger, Irène Mayer, Mmes Schülein-Carvallo, Lily Laubeuf, Nadine Landowski, Juliette Bendix, Rij Rousseau, nous n'ignorons pas qu'il existe, à gauche, autant de poncifs qu'á droite, et que ces éphithètes politiciennes sont souvent ici sans portée réelle. 
Les meilleurs, néanmoins, sont sans doute en bas, escortant et encadrant les statuaires. Voici Othon Friesz et sa nerveuse nature-morte; de Waroquier, qui a un sens émouvant de la grandeur - son Esclave est d'un style pathétique; Kayser, coloriste racé, dessinateur concis; Léopold Lévy, de qui les modulations assourdies sont mélodieuses, et dans les gris-verts duquel flotte comme un souvenir du divin Camille Corot; Céria, auteur d'un Nu d'une rare élégance; Lebasque, chez qui la grâce n'est adultérée d'aucune fadeur; le vigoureux Oslerlend, qui se renouvelle; Milich, aux accents énergiques; les fines petites plages blondes de Valdo Barbey; les figures, d'un ton précieux, de Terechcovitch: les natures-mortes excellentes de Hayden; l'ensemble ferme et fort de Marchand, les fleurs radieuses d'Hélène Marre; les notations parisiennes, précises et personnelles de René Durey.
Francis Gruber, comme Yves Brayer, bien que ces deux jeunes soient de formation différente, est habité d'une sorte de flévreux lyrisme; il a cadencé une curieuse composition sur ce thème imprévu: Les chefs-d'oeuvre italiens et antiques arrivant à Fontainebleau. 
On aperçoit parmi la foule des courtisans étonnés, un Primatice présidant au déballage des marbres sous l'œil paternel de François Ier ravi. Tableau étrange, vivant, amusant au possible, où le talent et l'audace débordent.
Voilà, ou je ne m'abuse, le triomphe du « retour au sujet ». Mais l'ouvrage de Francis Gruber, largement exécuté en dépit du format et du nombre des personnages, n'est point anecdotique, point illustratif, l'épisode d'histoire étant traité et transposé plastiquement. Il serait à souhaiter que le conservateur du château de Fontainebleau, notre ami M. Rey, pût voir - et acquérir - la toile de Francis Gruber.
Yves Brayer, lui non plus, n'hésite pas à varier éperdument ses sujets : son panneau, très beau, montre d'abord un Asile de fous (singulière rencontre posthume avec Jean Béraud), entièrement imaginé je pense, puis la Cathédrale d'Orvieto, enfin Le Jardin des Sourds-Muets.
Déblayons, pour nous arrêter devant les bons colorists de la génération montante. On m'excusera de m'en t [[cutoff]] avec leurs aînés, déjà en poss[[possession]] d'un solide renom, à de brève [[cutoff]] les élogieuses. Il paraît plus é [[cutoff]] d'accorder plus d'attention [[cutoff]] [[cutoff]] dets, à ceux dont la situation n'est [[cutoff]] encore faite, dont «le pain n'est [[cutoff]] [[pas?]] cuit». Quant au honnêtes exposants du « centre », bourgeois moyens de l'art pictural, il suffit de les indiquer avec politesse.
Je citerai Darel et sa ferme nature morte, Tchernainsky, Jean Janin, œil fin ; Verhoeren, Hambourg ; l'élégant Laglenne, Gandissard, dont la Femme de Bou-Saada est d'un accent puissant; le chaleureux Rolf ; Watson ; le protéiforme Jacques Villon, l'irréductible Gleizes, ultime rempart du cubisme, la courageuse coloriste Claire Valière, qui progresse a pas de géant. Daniel Octobre parvient à se dépêtrer de la glu académique ; il serait inique de ne point mentionner Paule-Emile Pissarro, Louise Pascalis, laquelle, première, fixa les lois de l'aéro-peinture. Mme Pélisson-Malet et ses délicates Communiantes ; Raphaël Birtchansky et son somptueux Bouquet ; Francis Smith, aux taches spirituellement justes dans la lumière: Tischler, Hannaux, Jean Adler ; Mlle Michriki, Piaubert, de qui le dessin fait penser au trait délicieux de Dufy ; la véhémente Adrienne Jouclard ; Max Band, coloriste rare; Pougny, harmoniste qui use de quarts de ton; Corpus; le classique Deschmacker; Mmes Noele Roubaud, Irène Mayer, fine portraitiste ; Lily Laubeuf, débutante étonnamment douée ; Pabla Martinez Berjonneau, René Karbowsky, Cluckmann (ces derniers exposants sont, je crois, des A, ainsi que Bernard Harrisson et miss Bessie Davidson... Mais qu'imporent ces barrières fragiles?)
Voici Schulein, subtil analyste de l'atmosphère parisienne, Jacques, Denier, Domenjoz ; l fort Dellombe, Gilou, Spiro, dont on salue avec joie le retour ; Chénard-Huché. Reine Cimière expose un grand portrait dans un jardin, d'un charme prenant et d'une belle venue ; Mme Carvallo-Schulein, une des très distinguées portraitistes d'aujourd'hui; Mme Gourgaud du Taillis, qui a tracé l'image d'une fillette avec un talent délicieusement souple et expressif; la vaporeuse paysagiste Marianne Camax-Zœgger, Lily Converse, Michel Colle. L'Hommage à Verlaine, de Marthe Lebasque, pétille d'idées neuves et d'accords élégamment imprévus. A louer Le Wino, Elisabeth de la Mauvinière, le sage Jules Perrichon ; Stella Mertens, Uzelac, Laillard, Clot, Cox, Pierre Noury, Georgette Nathan, Valentine Prax, Mme Val, dont le faire est libre et vivant.
J'ai gardé pour la fin deux noms, à excepter: Limouse et Christian Caillard. Limouse est un tempérament d'une somptueuse opulence. Quant à Cillard, je souhaiterais aux « Tuilleries » de montrer aux visiteurs beaucoup d'ouvrages de la class de certain paysage, et de cette Jeune gitane si ferment écrite, dont la matière est d'un sonore émail. Cette toile ne serait-elle pas la meilleure du Salon?
Et si vous montez, ce dont je ne doute, au bel étage du néo-Parnasse, regardez les moires de Mme Ory Robin, les émaux chatoyants de Mergier. Et faites une longue station devant la vitrine de Decœur: galbe, tons, couvertes, tout ici est d'un prince incontesté de la céramique française contemporaine. 

Louis VAUXCELLES.