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Autre grille, d'une dimension halluncinatoire et onirique, que l'on peut rapprocher de certaines recherches récentes sur le cinétisme et la juxtaposition.

Un retour à la féerie organisée d'une façon très tactile : vieux papiers, armoires mystérieuses, resurgis du fond de l'enfance.

ment à l'instant d'éternité qu'il cristallise en évoquant une remontée dans le temps. Nul plus que lui ne savait pourtant la beauté et la gravité du mouvement pur. Il était un ardent collectionneur de films muets (Lumière, Feuillade); il a écrit un jour qu'il admirait « la puissance profonde et suggestive du film muet pour évoquer un monde de beauté idéale ». Il a d'ailleurs tourné lui-même (ou par l'entremise d'un opérateur) douze courts métrages où l'on retrouve le monde de rêve éveillé, ou prémonitoire, de ses œvres plastiques. Le plus attrayant Rose Hobart, tourné en 1939 à partir de « chutes » d'un mauvais film d'aventure, a pour object la fascination que lui inspirent les mouvements de l'héroïne existant pour leur beauté même, à l'exclusion de tout scénario (mais avec l'aide d'un montage fluide et subtil). Quand Joseph Cornell sacrifie à l'anecdote dans son œvre, par exemple dans ses séries exotiques qui ont toujours l'air de proches parentes des « voyages extraordinaires » de l'édition Hetzel, il donne l'impression de voir le monde tel qu'on se l'imagine avant d'effectuer un voyage.

Cette nouvelle espèce de réalisme — « celui qui existe dans les rêves au moment où ils deviennent si précis que l'on sait que l'on va se réveiller » note John Ashbery — 

aboutit à des réussites comme ses célèbres Hotel-boxes qui semblent retrouver d'une façon presque divinatoire l'ambiance désuète et mélancolique des petits hôtels oubliés dans les stations du Pas-de-Calais : Hôtel du Nord, Hôtel de l'Europe, Hôtel Bon Port (qui porte en sous-titre : Ann in Memory). Comment croire en les voyant qu'il n'est jamais venu en France? Qu'il n'a jamais hanté ces plages de galets? On pense, en sens inverse, à Kafka créant de toute pièce l'hôtel Occidental dans son roman l'Amérique (où il n'est jamais allé). Et jamais le « matériel urbain », si cher aux surréalistes, n'a été utilisé à meilleur escient et avec plus des subtilité (même chez Rauschenberg) qu'avec les affiches ou les prospectus d'hôtel, mi-effacés, mi-déchirés, dont il se sert pour ouvrir tant de perspectives vertigineuses sur l'absence, le vide, l'angoisse ou, plus prosaïquement, la morte saison. Cela aurait mérité de trouver sa place dans le fascinant petit livre de Michel Butor, les Mots dans la peinture. 

Ce que nous montre Cornell, ce sont donc des instants comme les autres, qui n'ont de valeur que parce qu'il les a cristallisés en les entourant d'une boîte, comme autrefois on construisait une châsse autour d'un relique. Il y a de l'encadreur en lui, de l'éterniseur d'instants qui nous troublent avec la persistance de phantasmes enfantins. Nous avons tous, au hasard de la mémoire subite, recontré un jour ou l'autre le monde que révèle Joseph Cornell. Il suffit parfois de peu de chose, d'une vieille photo trouvée sur une plage, derrière un cadre au verre cassé. Le sable envahit déjà et... Henri Coulonges

Boîte aux Boules, 39 x 26 x 6 cm. Coll. Mme X, Paris/Photo R. Guillemot.

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