Viewing page 2 of 59

This transcription has been completed. Contact us with corrections.

Les lettres Française
Les Arts Nov-17-23 1966

La chronique de Jean Bouret - Sept [déchiré]avec la p[déchiré]

Jeudi

De temps en temps, un journaliste en mal de copie, un juge d'instruction en retraite, un sociologue du C.N.R.S. émeuvent l'opinion avec l'éternel problème de la « Traite des blanches ». Cela ne dure pas plus de quinze jours, les cœurs tendres y vont de leur larme, la police arrête un ou deux truands, et les mères de famille mettent leur fille en garde, alors que la fille en sait plus long sur la question en général que sa pauvre mère, mais là n'est pas la question... Pourquoi le critique ne mettrait-il pas de temps en temps en garde les artistes, contre la « Traite des peintres » ? Prenons un exemple. Certains de mes amis, catalogués parmi les Naïfs, ont reçu ces temps-ci une circulaire les invitant à déposer une toile à je ne sais plus quel musée en vue d'une grande exposition en avant-première d'une fondation du premier Musée National et International d'Art Naïf, de Laval (Mayenne). Il paraît, en effet, qu'un tel organisme a été créé, par qui ?, on ne le sait pas, comment ?, on ne le sait pas non plus !, mais ce qu'on sait seulement c'est que Jules Lefranc a fait don à sa ville natale d'une trentaine de tableaux de sa main, de quelques autres de sa collection, et que Laval est la patrie aussi, du douanier Rousseau.

On voit à peu près comment s'est jouée la partie et que dans la coulisse quelqu'un a dû se dire : « Pourquoi ne me servirais-je pas de ce don pour me faire mousser un peu, et atteindre à la gloire en devenant la muse de l'Art Naïf ? Les quelques relations que j'ai seront ravies de venir picorer des petits fours avec un quarteron de conseillers municipaux, et c'est bien rare si dans le tas des peintres naïfs il n'en existera pas quelques-uns prêts à faire don d'une œuvre dans l'espoir de figurer au Musée futur — on n'est pas de bois — » Tout cela est merveilleusement monté, mais on peut se demander alors ce que sera ce Musée d'Art Naïf si l'on y fourre n'importe quoi, y compris le faux naïf, genre Raffy le Persan et consorts, et s'il n'y a pas une autre autorité un peu plus compétente que notre mouche du coche pour coiffer le tout. 
Cet exemple m'est tombé sous les yeux cette semaine, et il n'est pas le pire parce qu'une mention en bas de la circulaire indique que cette invitation ne comporte aucun frais, mais la semaine avant on invitait, moyennant 5.000 francs, des peintres à un prix de 500.000 francs. Avec 20 participants, l'organisateur gagne sa vie. C'est un gentil commerce et la voilà bein « la Traite des peintres ! »

Vendredi

Peut-être ai-je été un peu long, mais ces histoires me tiennent à cœur et on le comprendra. Parlons donc d'autre chose...
De la très belle exposition de sculptures et dessins de Barbara Chase-Riboud par exemple, et qui se tient au « Cadran Solaire » de la rue Saint-Jacques. Voilà de la bonne sculpture, parce qu'animée d'un feu intérieur et non seulement voulue en plans choisis, parce que marquant le jeu des doigts modeleurs, et le jeu plus simple encore de la création à partir du squelette, parce qu'enfin parcourue du souffle poétique d'une imagination cavalcadante et dont la mythologie emprunte parfois à la lascivité, parfois au « dévorant-dévoré ». Je faisais ce jour-là la découverte 

[photo]
Michel Tyszblat

d'un sculpteur et j'en avais conscience, et cela me consolait de tant de déceptions: celle des treillages et pergolas jardinières de Buri chez Massol, où le système triomphe tellement de la peinture que la peinture n'est plus que de dix-septième plan et que la vision optique qu'on en a eu est elle-même extra-rétinienne ; celle des baigneuses et baignoires de Wesselmann, chez Sonnabaud. Je vais pourtant pieusement visiter les expositions d'Iléana, ne voulant pas rater l'artiste américain « pop » que je risque de rencontrer et dont je pourrais enfin dire un peu de bien. J'avais lu des articles de revue sur Wesselmann et « le grand nu américain », et cela se rapprochait dans mon esprit de Raysse, et puis l'on sait bien que les filles de « Play Boy » sont tellement jolies qu'on leur pardonne d'avoir le goût du veau froid des mauvais buffets. Peut-être en verrais-je une enfin qui n'aurait pas besoin de pickles, serait plasiquement possible... Hélas, Raysse est presque un génie ingresque à côté de Wesselmann chez qui tout est décalé dans les collages, et dont la couleur vous rappelle la pâte dentifrice du matin et du soir. Des vitrines pour magasins de plomberie peut être ? et en ce cas elles sont jolies. De la peinture, en aucun cas ! Un artiste aux mêmes préoccupations, qui sont je suppose de montrer l'homme en proie aux affres de la technicité, du progrès matériel mal compris, du « way of life » panacée universelle, c'est Piqueras, Péruvien de Paris, qui expose chez Flinker. Piqueras est davantage un peintre malgré une lourde symbolique, des métamorphoses obscures, un arsenal de signes, chez lui le tableau soutient l'épreuve du mystère et c'est mieux ainsi.

Samedi - Dimanche

Reposons-nous sans remords en visitant le Musée de Sèvres rouvert, et quoi qu'on puisse penser de ces

Page 26
les lettres Francçaise 
Nov-17-23 66'